"Il n'y a pas de dessin - ou de dessein - sans désir (...). 0r, le désir est métamorphose de l'être" George Didi-Huberman, "Dessin, désir, métamorphose" in Le plaisir au dessin
métamorphoses dessins photographies sculptures
Cette partie présente le travail d'une année de recherches artistiques réalisées en 2007-2008 en vue de l'obtention du diplôme de master, au sein de la section sculpture du Koninklijke Academie voor Schone Kunsten (KASK) de Gand (Belgique), sous la direction de Peter Rogiers et du professeur Ria De Boodt.
le projet artistique
Initialement, le projet a été animé par le désir de créer des rapprochements entre les trois médiums que je tends à privilégier dans ma démarche artistique, à savoir, le dessin, la photographie et la sculpture. Dès la première phase de travail, abordée essentiellement au travers du dessin et de la photographie, deux « sujets » se sont imposés spontanément : celui de la pierre (de simples galets de granit) et celui du corps. A partir de ces deux polarités (minérale / organique) - ou plutôt, à partir du passage récursif de l'une à l'autre - c'est peu à peu développé un projet autour de l'idée de métamorphose. C'était cependant sans compter sur les difficultés même du passage du dessin à la sculpture...
Tout au long de cette année de recherche, je me suis en effet heurté au problème de l’élaboration d'une forme. Ou, plus précisément, à ma propre difficulté d’élaborer une forme sculptée. Au fil des mois, mes différentes tentatives se sont révélées vouées à l’échec car, en dépit de mes efforts, il me semblait qu'il n'en résultait que des formes plastiques générées du « bout de mes doigts ». Comme si mes réalisations sculptées persistaient à n'être que quelque chose d’extérieur ou d’étranger à moi-même.Jusqu'au moment où j'ai pris conscience de ma propre résistance au processus d'élaboration de la forme. Je cherchais à maintenir la matière ou la forme à distance, à l'éloigner de la matérialité et de la densité de mon propre corps, alors même que c’était mon corps tout entier qui « demandait » à participer à l’élaboration de cette forme, en contact étroit avec la masse de matière dont elle est issue et peut-être surtout, depuis l’intérieur même de la forme.
Du dessin à la sculpture... différents états métamorphiques du projet artistique.
Autrement dit, le sens réel de mon projet s’est révélé être sous-tendu par le désir de vivre de l’intérieur le processus de la métamorphose, là où se trouve peut-être l’essentiel. Comme le fait si justement remarqué George Didi-Huberman dans le catalogue de l'exposition Le plaisir au dessin : « On a souvent l’impression que, dans une métamorphose l’essentiel nous manque, l’essentiel de la durée, du changement, de la plasticité et du dépli des formes ». De même, le sens de mon projet artistique renvoie à cette interrogation formulée par Gilbert Simondon à propos du processus de prise de forme – le processus d’empreinte :« Il faudrait pouvoir entrer dans le moule avec l’argile, vivre et ressentir leur opération commune pour pouvoir penser la prise de forme elle-même. […]C’est l’essentiel qui manque, le centre actif de l’opération qui reste voilé » (Du mode d'existence des objets techniques,1969). De ce point de vue, mon projet artistique répondait sans doute à un désir profond de dépasser cette impossibilité de visualiser le processus de métamorphose.
le processus
Ce qui fait la particularité de ce travail artistique, c’est qu’il tente d’interroger par le corps ce moment singulier qu’est celui de la métamorphose.Dans les dessins, j’abandonne la pointe du crayon pour le contact physique direct avec le papier et le fusain dans un processus d’effacement d’une forme longuement élaborée. Dans mon projet de sculpture, mon corps se place littéralement au coeur de l’élaboration de la forme, laissant de l’intérieur son empreinte à la matière. Le processus de travail se trouve ainsi centré sur l'instant particulier où se condensent et fusionnent tout à la fois la matière, l’espace, le temps et le corps.Un moment qui porte en lui-même la potentialité de l’apparition de la forme… ou de l’informe. La résultante est, du fait de l’incertitude même que porte le processus, peut-être moins un objet sculptural, un objet dessiné ou encore photographié, qu’une trace de cet acte. Une trace du corps dans la matière, une trace du passage de ce corps, de sa lutte pour y laisser une empreinte. Une trace qui se donne à voir comme unemémoire matérialisée du passage fugace du corps. Mes réalisations en sculptures, dessins ou photographies se font ici l’écho de transformations successives, comme si elles se muaient en témoin du processus plastique mis en œuvre.